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TUNISE Ferhat Horchani:«la Constitution constitue une rupture par rapport au monde musulman et arabe»



Tunisie - 
Article publié le : mardi 28 janvier 2014 à 13:31 - Dernière modification le : mardi 28 janvier 2014 à 13:31      http://www.rfi.fr/
 
Ferhat Horchani: en Tunisie, «la Constitution constitue une rupture par rapport au monde musulman et arabe» 

Ferhat Horchani, président d’Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC)



Le parlement tunisien.
Le parlement tunisien.
AFP PHOTO / FETHI BELAID

Par Christine Muratet



La Tunisie a une nouvelle Constitution. Ce texte est le fruit d'un compromis entre les islamistes d'Ennahda et les autres forces politiques du pays. Cette Constitution, qui reconnaît la liberté de conscience tout en faisant de l'islam sa religion, est inédite dans le monde arabo-musulman. Un texte sur lequel revient Ferhat Horchani, le président d’Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC), au micro de Christine Muratet.
RFI : Que pensez-vous de la nouvelle Constitution tunisienne ?
Ferhat Horchani : La nouvelle Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 est dans l’ensemble une Constitution acceptable, correcte parce qu’elle contient des garanties minimales de protection des droits des libertés et de limitation du pouvoir. Elle peut garantir l’instauration d’une démocratie en Tunisie.
Par rapport à la Constitution de 1959 qui est restée un modèle, qu’est-ce qu’elle a de plus ou de moins ?
Par rapport à la Constitution de 1959, les devoirs des libertés sont plus étendus, l’identité ou la place de la religion dans la Constitution et les relations entre l’islam et l’Etat sont plus explicitées. La Constitution de 2014 a repris l’ancien article 1er qui dit que la Tunisie a comme religion l’islam, mais le texte a ajouté un deuxième article qui est très important, qui dit que la Tunisie est un Etat civil fondé sur la citoyenneté. Et deuxièmement, on a supprimé un ancien article qui disait que l’islam est la religion de l’Etat. Cela veut dire qu’il y a une seule interprétation possible de l’article 1er, que la Tunisie est un Etat civil et que l’islam n’est pas la source du droit. Et cela est très important pour une interprétation par les juges, par la société civile ou par l’administration.
Cette Constitution introduit également la parité homme-femme dans les Assemblées élues. Cela aussi est une première dans le monde arabe ?
Il y a deux premières. D’abord le texte prévoit la liberté de conscience. C’est unique dans le monde arabe et c’est même unique dans le monde musulman. La liberté de conscience implique la possibilité pour un Tunisien de ne pas avoir de religion. C’est rare et c’est conforme à l’islam. Par rapport aux femmes, bien sûr, elle cite de manière explicite l’égalité des citoyennes et des citoyens devant la loi en droit et en devoir. C’est clair que la Constitution 2014 constitue une rupture par rapport à ce qu’il y a dans le monde musulman et arabe.
Mais justement pourquoi la Tunisie réussit-elle là où la plupart des autres pays arabo-musulmans ont du mal à concilier tradition et valeurs universelles ?
Ce n’est pas nouveau. Avant la révolution de 2011, dans les rapports internationaux on disait qu’en Tunisie il y a tous les ingrédients pour que la démocratie soit instaurée et pour qu’il y ait une démocratie compatible avec l’islam. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons. La première, c’est l’importance de la couche moyenne, la classe moyenne éduquée. C’est un acquis de l’époque post-indépendance. L’Etat a beaucoup investi en matière d’éducation, en matière de santé. Et un autre facteur, c’est le rôle de la femme. Elle a participé à la rédaction de la Constitution. On se souvient tous de cette question de complémentarité qui a été revendiquée par les courants conservateurs et les femmes sont sorties dans la rue. Elles ont imposé la règle de légalité. Et il y a aussi autre chose qui est aussi unique dans le monde arabe, c’est le rôle de la centrale syndicale, l’UGTT, qui ne joue pas seulement un rôle syndical. Elle joue un rôle éminemment politique. Et là, elle joue un rôle majeur en matière de préservation des acquis de la Tunisie. Ce sont ces facteurs-là qui peuvent distinguer la Tunisie du reste du monde arabe. Il ne faut pas oublier que le Code de statut personnel tunisien [CSP] qui a interdit donc la polygamie est un texte qui a été adopté avant d’adoption de la première Constitution en 1956. Et la Constitution tunisienne a été adoptée en 59.
Y a-t-il une spécificité des islamistes d’Ennahda ? Sont-ils moins théocratiques que d’autres mouvements islamistes dans la sous-région ? Sont-ils plus soucieux d’un équilibre avec les valeurs démocratiques ? Est-ce que ça peut être ça aussi une autre spécificité tunisienne ?
Il y a une spécificité d’une certaine aile du parti Ennahda. On peut appeler l’aile modérée qui tient compte des spécificités tunisiennes et qui voudraient réunir un parti modéré. Le problème du parti d’Ennahda, c’est qu’il n’est pas constitué par un seul courant. Il y a en son sein une aile très importante consolidée par une base radicale. Pour des raisons électorales, je crois que ce parti va tenter d’utiliser la religion à des fins politiques. Par exemple, il y a quelques semaines dans un débat télévisé, le président du parti Ennahda a découvert que son parti utilise dans ses réunions un programme électoral dans lequel il est dit de manière claire qu’il faut utiliser la mosquée pour des raisons électorales. Alors qu’au sein de la Constitution, le parti Ennahda est d’accord pour que la mosquée ne doit pas être utilisée pour des raisons partisanes. Il y a donc toujours ce tiraillement entre un discours modéré qui cherche à s’adapter à la Tunisie et un discours qui est adressé à ses électeurs et une partie du peuple tunisien pour des raisons électorales.
C’est dire tout le long chemin encore à parcourir pour la Tunisie ?
C’est vrai. En même temps, ce qui est bien dans cette Constitution, c’est que cette Constitution est le résultat d’un débat public qui n’a jamais eu lieu avant, le fruit de la société civile. Des questions décisives sur l’identité, sur la religion, sur la relation entre la religion et l’Etat, ont été débattues et de ce point de vue là, nous avons gagné. Le reste sera une vigilance quotidienne, mais on est bien parti quand même.